« De Los Angeles à Cannes : ticket pour une passion »
Regards Décalés par Ariane Sauvage
Deux jours avant qu’il ne s’envole pour le Festival de Cannes, France Audacieuse a pu se glisser pour un interview dans le programme chargé d’un cinéaste et homme d’affaires français, Éric Nebot, basé à Los Angeles. Son rêve de jeunesse : travailler dans le monde du cinéma. Sa réalité d’aujourd’hui : travailler dans le monde du cinéma. En y ajoutant en parallèle l’activité de placement de produits. Sous le ciel bleu de Santa Monica, discussion chrono avec un passionné.
Pouvez-vous nous retracer les étapes qui vous ont mené au monde du 7ème Art ? Était-ce une affaire de famille ?
Oui…et non. Mon grand-père était un producteur-distributeur talentueux, il dirigeait la société Marceau-Cocinor qui a été à l’origine de grands succès comme Le Mépris, de Godard, L’Année dernière à Marienbad, de Resnais ou encore Et Dieu…créa la Femme, de Vadim. Je ne suis pas un enfant de la balle pour autant et mes parents n’étaient pas en faveur de me voir travailler dans ce milieu. Quand j’ai voulu faire la Fémis (École Nationale Supérieure de l’Image et du Son), ils s’y sont opposés et m’ont poussé vers des études traditionnelles. Après mon diplôme de finance, on m’a proposé un poste dans une salle de marché. J’y ai tenu exactement trois jours. Les enjeux, l’ambiance…rien n’était pour moi. Le cinéma était toujours la seule vocation qui m’attirait.
Pourtant, vous ne vous êtes pas tout de suite lancé dedans ?
Non, c’est vrai. Avec trois amis d’enfance, nous regardions ce qui se passait aux États-Unis avec la bulle Internet et nous avons décidé de lancer ensemble Publibook, une maison d’édition en ligne. Une affaire qui a si bien marché que parfois c’était un peu délirant, quand j’y repense. Nous avions 22-23 ans, trente-cinq employés, une belle trésorerie, Amazon France venait à peine de se lancer à Paris (Août 2000)… Ma grand-mère collectionnait les coupures de presse qui parlaient de nous. Nous avions fait la quatrième de couverture du Monde, puis quatre pages dans l’Express. Jacques Chirac aussi était venu visiter nos bureaux. Et en 2002, j’ai vendu mes parts.
C’était le bon moment pour évoluer :
Oui, car même si l’affaire marchait très bien, je faisais là quelque chose qui ne m’intéressait pas. Mon grand-père venait de mourir, j’avais 26 ans, pas encore d’enfants, un trésor de guerre qui me permettait d’être indépendant pour un moment…J’ai décidé de tenter ma chance. J’ai envoyé pendant des mois des milliers de CV dans toutes les boîtes de production, et cela n’a jamais rien donné. Impossible d’entrer nulle part. Finalement, on m’a présenté un producteur. Il m’a proposé un tournage très difficile dans une cité, sans salaire. J’ai accepté tout de suite, ai été bombardé assistant- régisseur, c’est-à-dire le job le plus ingrat qui existe : faire les cafés, vider les poubelles, être chauffeur pour les comédiens, conduire des camions, etc…J’ai adoré ce tournage, qui était celui de L’Esquive, par Abdellatif Kechiche. On tournait dans les tours, dans des conditions pas toujours salubres, avec des gamins difficiles. Mais je suis tombé amoureux de sa dramaturgie naturaliste, de sa façon de mobiliser les énergies pour aller au bout de sa vision. D’ailleurs, L’Esquive a décroché quatre Césars à la cérémonie de Février 2005.
Alors, ce premier contact réussi vous a ouvert toutes les portes ?
Non, ça ne se passe jamais comme ça ! J’ai écrit très vite mon propre scénario, La Désintégration, réussi à trouver un producteur, le film est sorti en février 2012. J’ai écrit d’autres scripts et travaillé comme assistant de production dans une autre société de tournage -c’est-à-dire que je faisais des photocopies. Mais ça m’était égal car il y avait dans la même pièce tous les classeurs des films produits par cette maison, et je les dévorais les uns après les autres pour comprendre les contrats, apprendre toute la chaîne de production d’un film. J’ai eu aussi l’opportunité de travailler pour une boîte de publicité où l’on me laissait emprunter du matériel pour faire mes propres court-métrages. Et c’est à peu près à ce moment-là aussi que j’ai découvert le placement de produit. Une activité qui consiste à trouver des produits qui seront à même de participer à l’histoire que raconte un film, comme l’Aston-Martin de James Bond, par exemple. Il pourrait conduire une Ferrari, n’est-ce pas ? Mais ce ne serait pas le même personnage. J’ai fondé ma propre société, Hill Valley, (nom de la ville du film Retour vers le Futur) à ce moment-là (2012). J’allais avoir 29 ans, me marier, il était temps de s’installer. Le placement de produit a l’avantage de réunir tous les domaines que je connais : le story telling, que ce soit l’histoire du film ou celle du produit, les tournages et le marketing . Un de mes premiers clients, par exemple, était le champagne Piper-Heidsieck, que j’ai connecté avec la cérémonie des Oscars. (Un champagne que selon des interviews parus dans les Échos ou le Figaro, l’on retrouve aussi par l’entremise de Hill Valley dans Cafe Society, de Woody Allen, ainsi que les Renault Twizy dans Ready Player One, de Steven Spielberg)
Pourquoi était-il important pour vous de venir vivre à Los Angeles ?
A 7 ans, je connaissais par cœur les dialogues de La Mort aux Trousse, et bien qu’il fut anglais, Hitchcock a fait toute sa carrière à Hollywood. Quand j’ai fondé ma boîte, j’ai tout de suite ouvert un département international, Los Angeles à mes yeux était déjà plus qu’une tête de pont. Après des années d’aller et retour pour moi en solo, nous avons finalement décidé il y a deux ans que ce serait plus simple d’installer toute la famille en Californie à temps plein.
C’est aussi la meilleure façon d’augmenter mon business. La France garde certes une industrie du cinéma active, mais ça reste un petit marché. Dans l’industrie du cinéma, il y a deux marchés importants : asiatique et américain. Pour les Occidentaux, il est rare d’être accroché par les films asiatiques, les codes culturels et intellectuels sont trop différents. Reste donc le marché américain. Et pour le placement de produits aussi, c’est plus facile d’être à Los Angeles pour multiplier les contacts.
Et il y a une telle créativité ici ! Il est difficile à notre époque, je trouve, d’avoir autant de créativité qu’avant, elle s’est un peu asséchée. Jadis, les auteurs réfléchissaient, rêvaient, écrivaient, lisaient beaucoup. Aujourd’hui, le temps de réflexion s’est raccourci, et je crois que c’est dû principalement à la multiplication des écrans autour de nous. Il y a un rapport à la technologie qui a changé nos processus de création, et du coup l’art de raconter des histoires. Mais à Los Angeles, il me semble que les gens du cinéma surfent plutôt bien sur ces nouvelles vagues. Même si, comme on le dit, les talents ont déserté les films sur grand écran pour peupler le monde de la télévision, il y a encore mille choses à faire, les innombrables séries télévisées qui nous sont offertes aujourd’hui en sont bien la preuve.
Comment se passe le placement de produit ?
Je mets des marques et des producteurs en contact, je négocie les contrats pour que chacun ait le meilleur deal, que les deux partenaires soient satisfaits. D’un côté, nous participons ainsi à la gestion de la stratégie de la marque, nous leur donnons des conseils. De l’autre côté, il est impératif que le produit s’insère à la perfection dans la démarche artistique du film. Pour une boisson, par exemple, le héros ne peut boire que quelque chose exprimant qui il est, et lui seul.
Du coup, nous avons de plus en plus des accès un peu privilégiés. Dans le dernier film de Tarantino, Once Upon a Time in Hollywood, projeté à Cannes, j’ai placé certains produits. La semaine dernière, je suis passé au studio pour vérifier la bonne intégration des dits produits à l’image, et je me suis retrouvé dans une salle de montage avec Tarantino, diCaprio, Brad Pitt. Al Pacino m’a demandé de l’aider pour la prononciation de la marque française. Pour moi qui ne suis jamais blasé, ce sont des instants uniques, qui vous rendent humbles et enchantés à la fois.
Bien sûr, pour vous, le Festival de Cannes reste un passage obligé ?
Nous y sommes tous les ans, les gens de ma compagnie viennent de Paris et nous installons nos bureaux dans un grand hôtel. La plupart de nos clients sont présents à Cannes, dans les fêtes ou dans les projections, mais nous essayons aussi de trouver de nouvelles opportunités. Naturellement, cette année, j’attends avec impatience la projection du film de Tarantino. Par ailleurs, j’ai un projet dont j’aimerais discuter avec divers interlocuteurs. J’ai conçu une histoire avec le chef pâtissier du Ritz, François Perret. Nous l’avons filmé dans son décor de la place Vendôme, restaurants, cuisines, et sous-sols…puis nous l’avons installé dans un food truck à Los Angeles avec la mission de réussir exactement les mêmes pâtisseries, en cherchant lui-même des produits locaux de qualité comparable. Si cela marche, nous pourrions faire beaucoup d’autres films de ce genre avec une vraie dramaturgie, sur d’autres marques emblématiques, des domaines de vin, etc…
Croyez-vous que votre passion du cinéma vous serve pour l’aspect business de votre activité ?
Oui, car je pense que les producteurs ici savent bien que dans ma société, nous comprenons leur problématique, leur vision, et que nous ne donnerons jamais des accessoires inappropriés aux protagonistes de leur film. Dans ma société à Paris, nous sommes douze personnes, dans mon antenne de Los Angeles, nous sommes six, avec moi, trois français, trois américains, pour mélanger les sensibilités culturelles. Notre point commun est de partager tous et toutes la même passion pour le cinéma. De toutes façons, c’est simple : je n’embauche que des gens qui me tirent vers le haut. »
James et Aston : un cas d’école.
Bel exemple de placement de produit, en effet, cette relation entre James Bond et Aston Martin. Ian Fleming, auteur de la série initiale des aventures de Bond, et lui-même ancien haut-gradé du Renseignement militaire, avait commencé par conférer une Bentley à son personnage. Ian Fleming était issu d’une famille fortunée et relativement connue, les voitures élégantes lui étaient familières. Cependant, il quittait souvent Londres pour venir écrire dans sa maison de campagne du Kent. De sa fenêtre il pouvait voir la maison d’à côté devant laquelle se garait régulièrement une élégante petite voiture de sport. Marque : Aston-Martin, modèle DB4. Voiture qui était aussi incidemment celle du fils… de son ancien responsable du MI6 ! A force de la voir, Ian Fleming finit par être séduit, fit descendre James de la Bentley pour l’installer dans l’Aston Martin. Nous sommes en 1958. Flash avant…le temps que Ian Fleming vende les droits de ses romans…que les producteurs les transfèrent au cinéma…et nous atteignons 1963, année de sortie de Goldfinger, où l’Aston Martin DB5, le modèle le plus récent, fait ses premiers tours de roue entre les mains de Sean Connery. Reflet d’une époque où l’Ouest commence à entendre les appels répétés du consumérisme où les constructeurs de voiture, aussi, savent améliorer les performances de leurs véhicules. C’est ainsi que Goldfinger a inauguré une série de onze films unissant James Bond avec Aston Martin, et couvrant cinquante ans d’histoire du cinéma. Pour la compagnie anglaise, cela a signifié à chaque fois des résultats comparables : hausse des profits, hausse du profil. Sans surprise, le prochain film mettra en scène la toute dernière création de la maison AM, pilotée par l’inoxydable Daniel Craig. Signe des temps, et comme on le murmure à Hollywood, ce sera peut-être la Rapide E, une voiture… électrique, protection de l’environnement oblige.
Pour la petite histoire, il y avait en fait deux modèles AM DB5 dans Goldfinger. L’un de ces modèles, vendu aux États-Unis, fut volé en 1997 dans un hangar de Miami. D’après les traces de pneu, la police a vu qu’il avait été chargé directement dans un avion-cargo…et depuis, malgré quelques indices, personne ne sait trop où il se trouve aujourd’hui. Éric Nebot a raison : le placement de produit, c’est aussi réunir et raconter des histoires.
par Ariane Sauvage, à Los Angeles.