En supposant que l’objet du débat concerne un « problème », cette note n’a pas la prétention de vous en donner « la solution ». J’espère simplement que les points abordés nous apporterons des éléments de réflexion supplémentaires de telle sorte que notre approche soit encore plus riche que précédemment en abordant « La préparation mentale du sportif de haut niveau ».
Ce thème n’est guère facile à aborder… Il semble appartenir au domaine du spirituel, et pourtant, pour nous, responsables sportifs, il appartient au monde du concret, à celui de chaque jour.
I – RAPPELS INTRODUCTIFS DE SEMANTIQUE
I – 1 DE LA PREPARATION
Le Larousse, dont l’utilisation est toujours utile, permet de trouver :
- « préparation = action de préparer… » L’information n’est pas décisive, mais il semble se dégager une idée d’actif et non de passif ! Pour en savoir plus, le Larousse indique alors :
- « préparer » = apprêter, disposer d’avance, prédisposer, mettre en état, étudier, apprendre… » Cette lecture est déjà plus riche !
Intuitivement, une notion doit s’imposer au débat et effectivement je la retrouve dans les définitions traditionnelles. En effet, au sens le plus banal, qui dit « préparation » dit « anticipation » (aussi menue soit-elle). De plus, on se prépare à quelque chose, une notion de but, d’objectif se dessine.
Préparer un événement consiste à adapter, travailler les paramètres qui le composent –y compris les comportements humains- pour mettre cet événement dans la forme souhaitée.
I – 2 DU MENTAL
Reprenons notre Larousse :
- « mental » = qui se fait en esprit… »Dans le sens traditionnel de notre civilisation l’esprit signifie que ce n’est pas le corps! Le « mental » c’est l’organisation de la pensée, le cheminement du vouloir et de la motivation. Et c’est ce sens-là du mot « mental » que nous retiendrons.
Le décor est en place, abordons le vif du sujet.
II – AVANT L’EPREUVE
Eu égard aux rappels introductifs de sémantique, la préparation mentale peut donc être définie comme le travail actif de la pensée pour se mettre en état, se prédisposer à l’acte sportif de son choix, dans le but d’en optimiser le résultat.
Comment s’y prendre ?
II – 1 LA MOTIVATION
Il vous est toujours possible d’exécuter le geste sportif de façon mécanique, à la demande. Ce schéma simplifié est bien souvent considéré par le non-initié comme étant le sport en lui-même, spectacle au cours duquel le corps travaille, le muscle se contracte et la performance se mesure…
Je crois que ce schéma n’est pas suffisant pour le vrai sportif, celui qui va toujours plus loin dans la connaissance et la maîtrise de lui-même !
En effet, « avant de courir » une étape importante est à franchir : celle qui correspond à avoir « envie de courir ».
Cette phase, psychologiquement incontournable, peut prendre un temps indéterminé dans la préparation d’un sportif, et elle fait partie de la préparation mentale. Qu’elle s’effectue en quelques secondes ou en quelques années, la profondeur de la motivation correspond au besoin d’expression ressentie comme indispensable par l’athlète.
Je n’aurai pas aujourd’hui la prétention de réaliser une étude de la motivation du comportement humain, mais il faut toujours garder à l’esprit que de s’engager dans l’acte sportif est un comportement social, une attitude complexe et significative.
L’acte sportif correspond à un savoir faire que seul un apprentissage de qualité permet d’acquérir.
Si vous avez déjà participé à une compétition, vous savez que l’enchaînement des faits qui vous ont amené sur le lieu de l’épreuve peut être de différente nature :
- soit une série de contraintes ou de faiblesses successives vous ayant empêché de dire non : dans ce cas, vous ne pourrez jamais bien faire, l’homme contraint n’étant guère performant.
- soit la consécration d’une série de joies et une progression voulue pour aller se mesurer par rapport à soi et par rapport aux autres : dans cette hypothèse, vous donnerez -sans souffrir- le meilleur de vous-même avec une redoutable efficacité !
Avant l’acte sportif –quel qu’il soit- il est fondamental d’avoir envie de le réaliser sans avoir peur de le rater. Deux petites pensées inattendues peuvent aider dans cette voie :
- si une personne a peur d’être mal jugée sur ses résultats, elle n’a qu’à se dire que les autres ne valent pas mieux qu’elle et que pour beaucoup d’entre-elles leur niveau est bien inférieur au sien ;
- si cette personne a peur de ne pas être digne de la confiance qui lui a été témoignée en la sélectionnant, qu’elle se dise encore que ses sélectionneurs n’ont qu’à assumer leur choix, à chacun sa mission…
Surtout ne vous trompez pas ! Ces deux réflexions ne sont pas une invitation à un laisser-aller quelconque. C’est au contraire tout l’opposé : le sportif de haut niveau va donner irrémédiablement le meilleur de lui-même dans un schéma qu’il connaît et maîtrise totalement, il est donc serein.
Par expérience, je place également « la pensée positive » dans cette rubrique : se préparer au bon geste en le pré-visualisant de façon idéale est assez classique dans la démarche de la préparation mentale.
II – 2 L’APPRENTISSAGE
La définition de l’apprentissage mental est d’apprendre un état mental. Ceci signifie qu’au-delà de la connaissance technique du geste, celle qui en permet l’exécution, tous les sportifs de haut-niveau savent que l’acte sportif futur doit être imaginé. Cette visualisation s’effectue en fonction des souvenirs d’actes identiques, ou plutôt de même nature, que nous avons déjà connus.
Cette étape virtuelle prépare le corps à l’action. Cette possibilité d’imaginer, ce potentiel de cheminement de la pensée, indispensable pour concevoir le bon geste avant de passer à l’acte, peuvent être organisés pour optimiser notre intervention dans le monde qui nous entoure. C’est un apprentissage de savoir-faire, c’est une éducation au sens le plus large.
Comme dans toute éducation, un encadrement pédagogique est souhaitable pour transmettre le savoir accumulé par les hommes et par le temps. Si les conseils de personnes plus avancées dans la connaissance sont précieux, ils n’excluent pas le fait qu’il soit aussi possible, par une démarche individuelle, de continuer plus avant dans la connaissance. Et les deux chemins se complètent en pratique, harmonieusement.
II – 3 DES PEDAGOGUES
Quelques questions se posent : Il existe sûrement des pédagogues particulièrement compétents dans l’éducation du chemin de la pensée, mais connaissent-ils la pensée du geste ?
De plus, introduire dans une équipe de sportifs des spécialistes purs de la pensée, comme certaines équipes ont intégré ou tenté d’intégrer des psychologues, n’est pas souvent aisé ni couronné de succès.
Dans le cas du sportif, il est courant d’admettre qu’un entraîneur connaissant parfaitement la technique est fort utile pour accompagner l’individu dans sa recherche de la performance. (Le maître guide l’apprenti cf. Larousse). Une personne maîtrisant la technique peut-elle être aussi un maître pour la pensée et l’organisation de cette pensée ? Il semble que ce soit possible, en me basant sur mes expériences en ce domaine.
De surcroît, un sportif de haut niveau peut-il, doit-il, se préparer mentalement seul à l’acte sportif ? je répondrai que oui en me basant sur l’exemple des sportifs médaillés olympiques et recordmen mondiaux que j’ai eu le plaisir d’accompagner.
III – PENDANT L’EPREUVE
Pour savoir comment faire cheminer sa pensée pour se préparer le mieux possible dans la réalisation d’un acte sportif, il est utile de rappeler quelques évidences concernant le sportif et son comportement.
III – 1 DU SPORTIF ET DE SON COMPORTEMENT
L’homme est un être de relation qui utilise ses sens pour pénétrer au plus profond possible du monde qui l’entoure dans le but d’y puiser l’information. Pour s’adapter en permanence à la vie, il a besoin de s’informer de façon continue sur les éléments qui l’entourent.
C’est une démarche identique pour le sportif qui recherche, dans le cadre précis d’une activité codifiée, à atteindre la plus haute performance, réponse la mieux adaptée à l’obstacle composé par l’épreuve. Le sportif cherche donc à donner le meilleur de lui-même et pour ce faire, il doit avoir la conduite la plus juste dans ses moindres détails. Il ne peut tendre à la perfection comportementale que s’il possède l’information extérieure et intérieure nécessaire pour le faire.
Chaque sens permet d’apprécier l’espace qui l’entoure, et tous ses sens sont nécessaires pour appréhender le monde extérieur dans sa totalité.
- C’est ainsi que l’athlète a besoin de sa vue pour se situer par rapport au terrain ;
- Son ouïe lui permet d’entendre les signaux de l’arbitrage, même effectués hors de sa vue ;
- L’odorat permet de sentir l’espace et informe sur l’état des éléments qui nous entourent ;
- Le goût n’est pas étranger à l’effort et chacun d’entre nous connaît le « goût de l’effort au fond de la gorge ». Un effort intense n’a pas le même « goût » qu’un effort réparti dans le temps ;
- Enfin le toucher semble évident comme nécessaire, que le sport pratiqué soit individuel, d’équipe, d’opposition avec ou sans contact…
Nous voyons alors maintenant venir tranquillement le monde du corps et des actes moteurs réaliser sa liaison naturelle avec celui de l’esprit.
Une question sera sans doute posée : peut-on diriger son corps, tout son corps, par la pensée ? Oui, bien sûr, car nous ne faisons que cela à longueur de journée, sachant que par économie de notre système un grand nombre d’actes sont automatiques, enchaînés par comportements acquis.
Ce schéma peut faire croire que le corps « vit sa vie », mais chaque acte peut se reprendre au niveau conscient et volontaire y compris certaines contradictions des muscles blancs. Il est connu de maîtres de Yoga qui reprennent au niveau volontaire les contractions des viscères, et, avec un entraînement certain, il est possible d’influencer de façon sensible le rythme cardiaque… Ceci pour dire que des techniques existent pour organiser la pensée, le « mental » qui commande le corps. Elles ne sont pas la préparation mentale, il ne faut pas se tromper d’objectif.
III – 2 CONSEILS PRATIQUES
Quelques exemples à titre d’illustration :
- Pratiquer la relaxation est une très bonne chose comme éducation générale, de grands bienfaits sont à noter chez tous les pratiquants assidus, quelle que soit la méthode ;
- J’ai aussi connu la pratique de la relaxation juste avant l’épreuve avec un déroulement « dans la tête » d’un match complet où chaque geste est le plus pur… ça marche et bien ! Il est même possible d’être tenté de réduire la préparation mentale au fait de se mettre en état de relaxation, d’imaginer le déroulement complet de l’épreuve sportive avec les plus belles sensations, et passer à l’acte… En quasi-hypnose !
Mais, il y a un mais… Si vous systématisez cette préparation de « juste avant l’épreuve », vous en devenez très vite dépendant. Le jour où vous ne pourrez pas pratiquer cette préparation spécifique à la compétition immédiate, pour une raison ou une autre, cette préparation spirituelle devenue habituelle, trop habituelle, sera tellement habituelle qu’elle deviendra indispensable et que vous serez déstabilisé profondément par son absence avant l’épreuve.
Le sportif de haut niveau doit se connaître au plus fin de son corps et de sa pensée sans être prisonnier d’aucun conditionnement pour y parvenir. Le chemin de la connaissance de soi ne se trouve pas dans un carcan rituelique, mais dans une culture générale de la chose, un état d’être de l’intéressé.
III – COMMENT APPRENDRE CE SAVOIR-FAIRE ?
La préparation mentale faite par l’entraîneur au sens large, est avant tout celle de l’exemplarité et de la sagesse. Son discours doit s’insérer dans une vie de chaque jour qui prône travail assidu et plaisir de vivre intensément chaque petite chose de la vie. Cet entraîneur va faire savoir qu’il existe des techniques pour mieux se connaître, mieux s’apprécier, mieux s’écouter, mieux s’entendre et mieux se gérer en pensant mieux. Mais l’entraîneur explique toujours le chemin à l’entraîné et ne se substitue pas à lui. Un dialogue de confiance et d’intimité s’instaure, dans le respect et l’indépendance de chacun.
Le bon entraîneur est celui qui n’est pas indispensable et surtout celui qui fait tout pour ne pas l’être ! Il aide à la désignation des objectifs…En effet, le sportif de haut niveau est un homme seul au moment de l’action et il faut lui apprendre à gérer cette solitude liée à sa liberté.
L’état artificiel de la situation de l’entraînement, qui permet au pédagogue d’intervenir à tout moment, ne se retrouve guère au moment de la compétition. L’entraîneur apprend donc la liberté sans l’imposer. Il maîtrise la technique sans s’en vanter et grâce à sa connaissance profonde il l’a dénudée jusqu’à sa plus simple expression… L’attitude de l’entraîneur est fondamentale car il reste une référence pour le sportif, même si le sportif doit chercher en lui-même, sans relâche, le moyen d’apprendre son propre chemin de pensée qui, vous l’avez bien compris, virtualise des images positives.
Conclusion
Dans le monde sportif, la préparation physique faisait partie de la nature même de notre objet. Nous sommes pour certains « professeurs d’éducation physique et sportive », mais nous n’avons pas encore le titre de « professeurs d’éducation physique, mentale et sportive » même si, dans bien des cas, il serait parfaitement justifié.
Toute cette démarche n’ayant qu’un but : permettre à chacun de se réaliser dans sa propre dimension.
par Jean-Richard Germont
Inspecteur Général Honoraire, ancien Directeur de la Préparation Olympique