Les Regards Décalés d’Ariane Sauvage
Correspondante de France Audacieuse en Californie
Covid 19 : La formation d’une écologue
Episode 6 et fin de l’interview d’Amandine G., écologue
Suite et fin de l’interview d’Amandine G, écologue. Episode 6 sur 6
Ce sont donc les mathématiques qui vous ont conduite en Californie ?
En quelque sorte, oui. J’ai d’abord fait d’autres missions de terrain, trois encore dans les îles australes françaises, deux aux îles malouines et à nouveau deux en Norvège. C’est vraiment là où l’on se forme les yeux, les mains, qu’on comprend l’importance d’être méthodique. Puis de retour à Montpellier, quand j’ai écrit ma thèse, j’ai pris de plus en plus d’intérêt à ces travaux de programmation. Je savais qu’il y avait une branche de UCLA qui avait une expertise en modélisation mathématique. Je les ai contactés, ils m’ont invitée à venir les rencontrer.
Est-ce courant pour les chercheurs français de se tourner vers l’international ?
Oui, cela n’a rien d’exceptionnel. Dans le milieu scientifique, on est toujours incités à avoir des échanges internationaux. Le but reste toujours d’utiliser les meilleures techniques disponibles pour répondre à la question que l’on se pose, on fait souvent appel à des expertises dans le monde entier, et par la suite, éventuellement, on publie des articles ensemble. En plus, dans mon milieu, quand on a fini son Doctorat, s’ouvre une période un peu incertaine et stressante car on est officiellement chercheur mais on n’est pas encore affilié à une Université avec un poste permanent, même si comme moi, on a suivi le parcours qui est valorisé en France, c’est-à-dire, Licence, Master, Doctorat et recherche. C’est un peu différent en Amérique où ils ont tendance à recruter des parcours variés. En France, c’est une période qui peut durer de 6 à 8 ans, aux États-Unis seulement entre 2 et 4 ans et, donc, pendant ce temps-là on cherche des contrats de 2-3ans dans différentes universités et instituts partout dans le monde. Tout le monde le fait, cela fait partie du networking et du métier.
Comment donc s’est concrétisée l’arrivée à UCLA ?
J’ai rencontré les gens de UCLA en avril 2018, ai fini ma thèse, refait une campagne de terrain en CDD pour l’Université de Montpellier. Puis le professeur Lloyd Smith, que j’avais rencontré à UCLA, cherchait quelqu’un pour rejoindre son équipe sur un autre projet. J’ai postulé pour un contrat de recherche de post Doctorat chez eux et comme il connaissait mes compétences, mes intérêts, ma personnalité…Bref, j’ai eu le poste. Pourtant, c’était un projet un peu hors-sujet pour moi car mes compétences se portent sur les populations, sur la façon dont les bactéries ou les virus se transmettent d’un individu à l’autre et quel est l’impact de notre action pour empêcher cela. Alors que son projet à lui était se portait sur ce qui se passe à l’intérieur des individus à l’échelle moléculaire, sur les cellules infectées. Du coup, là, je travaillerais plus avec des virologues qui récupèrent des données en laboratoire. C’est ainsi qu’en Mars 2019 j’ai commencé à travailler au Lloyd Smith Laboratory de UCLA, à Los Angeles pour participer aux modélisations de ces échanges et interactions moléculaires.
Pour vous c’était un rêve de venir travailler à UCLA ?
Non, pas spécialement, c’était plutôt la thématique scientifique et l’expertise qu’il y a dans ce laboratoire-là qui m’intéressaient et qui me permettraient de développer ma propre expertise. Je travaille avec des gens qui font beaucoup de recherches différentes sur des thèmes différents, mais qui ont tous besoin d’une même modélisation. Mon patron, par exemple, a une formation de physicien, mais maintenant il ne travaille que sur les maladies infectieuses. Cependant UCLA est très reconnue au niveau international, et c’est un bel endroit pour travailler.
Êtes-vous la seule étrangère dans ce laboratoire ?
Pas du tout. Les États-Unis sont très ouverts au niveau des recherches scientifiques, ils recrutent beaucoup de chercheurs à l’étranger. Leur politique est qu’ils veulent le meilleur pour leur monde scientifique, le pays d’origine leur est égal. Mon patron, par exemple, est canadien, même s’il vit depuis longtemps en Californie. J’ai un collaborateur sud-américain à Cornell University, qui se trouve dans l’État de New York, une autre, australienne, à Montana State University, dans le Nord du pays, et une autre, hollandaise, dans un autre labo, aussi dans le Montana.
Est-ce compliqué de s’installer à Los Angeles pour un chercheur ?
Non, ils m’ont beaucoup aidée. L’une des doctorantes par exemple m’a hébergée pendant un mois. Cela m’a bien aidée, et épargné de louer un AirBnB je ne sais où. Pour ce qui est du visa, nous sommes complètement pris en charge par l’Université, qui nous sponsorise. En simple, ils remplissent quelques feuilles, vous demandent de compléter, on va à l’Ambassade avec ces papiers et on en ressort avec le visa. Ils ont l’habitude d’avoir des étudiants étrangers, ils sont un gros centre dédié à nous aider, à remplir les déclarations d’impôts, par exemple. Comme ça, le chercheur peut se concentrer…sur sa recherche. Par ailleurs, je suis aussi en contact avec le comité scientifique du Consulat de France.
Vous voilà donc au travail au Printemps 2019 :
J’ai commencé par beaucoup échanger avec mes collaborateurs. Ils font des expériences sur des cultures cellulaires, m’envoient leurs données, je les analyse et essaie de construire des modèles qui enregistrent ces données et leur donne un sens. J’ai aussi beaucoup exploré la littérature scientifique, intégré les avancées récentes car je n’avais pas le bagage nécessaire à ce moment-là pour comprendre les interactions entre virus et cellules humaines. J’ai voulu aussi établir des connections avec les autres chercheurs, en allant leur rendre visite dans le Montana ou à Cornell. Nous faisons tous partie du même projet, mais ça prend du temps d’apprendre à se connaître, d’établir la confiance, comprendre ce qu’ils attendent de moi, et moi d’eux. C’est une époque où j’ai beaucoup appris dans beaucoup de domaines. Et sur ce…le SARS-CoV-2, responsable du Covid 19, est arrivé.
Quel est le rythme de travail pour une chercheuse à Los Angeles, ville où en général on se lève très tôt et on rentre très tôt du bureau ?
En fait, nous sommes très, très libres. Cela m’arrive d’arriver au travail vers 11h du matin, et d’en repartir vers 21h. En fait nous travaillons quand on veut, y compris le week-end s’il y a lieu. Nous avons en fait assez peu de structures. Les gens qui travaillent dans les wet labs, comme on les appelle, et qui doivent manipuler des pipettes ou autre matériel, ils ont plus de contraintes parce que par exemple, il faut réserver certains microscopes à l’avance. Du coup, certains aiment travailler et effectuer leurs expériences la nuit, ils disposent ainsi de tout le matériel qu’ils veulent. Je connais des doctorants à Cornell avec lesquels je travaille, qui aiment aller au labo tard, ils arrivent à 16h et repartent à 3heures du matin.
Globalement chaque labo gère son temps comme il veut. Dans mon labo, notre patron veut que l’on communique ensemble, donc nous avons des créneaux où nous devons tous être là pour faire un point sur nos travaux. A UCLA, on avait un meeting de deux heures une fois par semaine dans la salle commune, du coup maintenant, on fait la réunion sur Zoom toutes les semaines. Il aime passe aussi tous les jours dans le labo pour discuter avec les gens, savoir s’ils ont des questions, besoin d’aide. On peut aussi travailler dans le jardin botanique si on veut, avec son ordinateur.
Ce sont en fait des vies très flexibles. C’est vraiment le genre de milieu où il y a une attente sur le résultat, mais la manière dont on atteint ces résultats, tant que ça marche, que c’est réalisé de façon éthique, et qu’on est de bonne compagnie avec les autres, tout va bien. Si jamais je forçais tout le monde à travailler sur mes horaires et répondre à mes mails le dimanche, ça ne passerait jamais. Mais tant qu’on est respectueux du rythme de chacun, tout va bien.
Envisagez-vous de rentrer en France un jour ?
Je regarde les thématiques de recherche qui m’intéressent et j’irai là où elles se trouvent.
Suite et fin de l’interview.