Grande dame brune élégante cherche co-équipier pour quatre ans inoubliables de labeur !
Les regards décalés d’Ariane Sauvage
correspondante de France Audacieuse en Californie
L’annonce le dimanche 21 Juillet par le Président Joe Biden de son retrait de la campagne présidentielle pour conquérir son deuxième mandat a provoqué une vraie onde de choc dans le paysage politique américain. C’est souvent le cas, bien sûr, quand on passe des fantasmes à la réalité. Beaucoup en parlait, beaucoup la désirait, et souvent plus par sympathie envers le Président que par dédain. Il n’y a pas encore si longtemps sur les ondes française l’ancien ministre Hubert Védrine saluait en Biden « les qualités de l’un des meilleurs présidents que l’Amérique ait jamais eu. » Nous pouvons sans hésiter saluer aussi une décision qui est aussi sage qu’elle a du être douloureuse à prendre. Biden a réussi à secouer le joug de l’addiction au pouvoir, si fréquente, et à faire passer l’intérêt de la Nation avant le sien propre. Au passage, reprenant l’initiative, il réussit à détourner les projecteurs de son adversaire, Donald Trump, après la convention républicaine, devenu subitement « le vieux » de la course, pour les ramener sur les Démocrates, et sur sa vice-présidente, Kamala Harris, qu’il a adoubée sans attendre.
Voici donc Madame Harris face à son destin
La Californienne de 59 ans a un passé jalonné de succès : d’abord procureure générale, puis sénatrice de son état d’origine avant de devenir la Vice-Présidente de Joe Biden, première femme, première afro-américaine et asio-américaine à exercer cette fonction. Alors qu’elle désirait se lancer déjà dans la campagne présidentielle de 2020, elle a cependant essuyé un échec au cours des primaires du parti démocrate. En tant que vice-présidente, elle n’a pas eu beaucoup d’éclat dans ce rôle assez ingrat et a déçu dans sa gestion diplomatique de la crise migratoire que connaissent les Etats-Unis. Elle a en revanche marqué de sérieux points dans sa défense acharnée des droits à l’avortement, devenus un sujet de campagne électoral majeur. Et beaucoup appris pendant ces quatre années, en multipliant par exemple les voyages à l’étranger pour enrichir ses connaissances à l’international. Son expérience des dossiers juridiques est aussi un grand atout face à un candidat marqué par les procès et condamnations. Elle doit donc maintenant entrer en campagne tout en respectant le Président en exercice, achever de convaincre le parti démocrate qu’elle est la bonne candidate, travailler sur ses capacités d’oratrice, clarifier son programme. Et remporter une élection présidentielle fondamentale dans moins de 100 jours. Aucune pression, vraiment.
Harry Truman, Vice-Président de Franklin Roosevelt, fut convoqué à la Maison Blanche le soir du 12 Avril 1945 par madame Roosevelt qui l’informa sans détour que son époux, de santé déclinante et fragile, était décédé dans l’après-midi et que lui, Truman, était désormais le 33ème Président des Etats-Unis d’Amérique. Le nouveau leader prit le temps de demander à la veuve s’il pouvait faire quoi que ce soit pour elle. Ce à quoi, elle répondit sans hésiter : « Mais que pouvons-nous faire pour vous, en fait ? Car maintenant, tous les soucis, c’est vous qui les avez. » Truman n’avait eu pas plus de 82 jours dans son rôle, pendant lesquels il n’avait rencontré le Président seul à seul que deux fois, et la Seconde guerre n’était pas encore terminée. D’ailleurs, il déclara à la presse le lendemain: « J’ai l’impression que la lune, les étoiles et toutes les planètes me sont tombées sur la tête ! » Autre temps, autres circonstances et autres traits psychologiques, bien sûr, et l’on ne saura sans doute jamais ce qui a traversé l’esprit de la Vice-Présidente Kamala Harris à l’heure où le Président Biden a annoncé sa décision d’abandonner la course. La différence est qu’elle n’est pas encore présidente, peu s’en faut. Le point commun est qu’elle a bien besoin d’aide, en effet. Et pour commencer le choix d’un colistier adapté à la situation pour devenir, peut-être, son Vice-Président se révèle crucial, et très stratégique afin de convaincre l’électorat.
Les colistiers potentiels de la candidate Kamala Harris
Heureusement, les prétendants potentiels ne manquent guère. On évoque souvent :
Gavin Newsom, ancien maire de San Francisco, gouverneur de Californie depuis janvier 2019. Ce grand et bel homme de 56 ans a su gérer son état durant la crise du Covid, et y a par la suite fermement établi le droit à l’avortement. Réélu Gouverneur en 2022 avec 59% des voix, il maintient parfaitement un état qui serait la cinquième puissance mondiale s’il faisait sécession. Mais son alliance avec Mrs Harris, elle-même originaire de Californie, représenterait un ticket trop californien pour les 49 états restants de l’Union. En plus de quoi, le 12ème Amendement de la Constitution stipule que ce sont les membres du Collège électoral qui votent pour le Président et son Vice-Président, avec une condition : l’un d’entre eux ne doit pas être du même état que l’autre. En d’autres termes, si Harris et Newsom faisaient alliance, ils seraient obligés de renoncer aux 54 votes du Collège électoral du « Golden State ». Impensable.
Josh Shapiro, 51 ans, Gouverneur de Pennsylvanie : un territoire historique puisque la Constitution des Etats-Unis fut signée à Philadelphie, sa ville la plus importante, qui fut la capitale de l’Union jusqu’en 1800. Industrialisé et fortuné, c’est aujourd’hui avec ses 20 grands électeurs un état pivot très important, considéré comme indispensable par tous les aspirants, Démocrates ou Républicains, au pouvoir suprême. Donald Trump l’avait gagné en 2016, Joe Biden l’a repris en 2020. Josh Shapiro en est le 48ème Gouverneur depuis Janvier 2023. De formation juridique, il est entré très tôt dans l’arène politique, en se faisant élire d’abord à la Chambre des Représentants de Pennsylvanie, puis procureur général de l’état en 2017, réélu en 2020, position où il s’est attaqué à la terrible crise des opioïdes. Comme Gouverneur, il s’est illustré en juin 2023 lorsqu’un pont s’est effondré près de Philadelphie, une catastrophe routière provoquant de surcroît des encombrements sans fin. Les experts prédisaient une réparation s’étalant sur plusieurs mois. Le Gouverneur décrète l’état d’urgence, récupère de l’argent fédéral, fait appel à l’esprit d’innovation de ses troupes…et le pont est réparé en douze jours. Orateur charismatique et efficace, il se veut centriste, défenseur des droits à l’avortement, lui aussi. De confession juive, il serait le premier Vice-Président juif de l’histoire américaine. Il a d’ailleurs publiquement manifesté son soutien à Israël dans le conflit de la bande de Gaza, condamné les manifestations pro-palestiniennes dans les universités…Positionnement qui pourrait lui coûter cher cette année sur un circuit électoral ?
Dans la jeune génération, certains jouissent déjà d’une certaine réputation :
Westley Moore, 45 ans, ancien soldat, devenu banquier, producteur, écrivain et impliqué dans la philanthropie. Il a été élu en novembre 2022 Gouverneur du Maryland, le premier Gouverneur Afro-Américain de ce petit état situé en face de Washington, d’une superficie égale à celle de la Normandie. L’actualité l’a porté lui aussi sur le devant de la scène en mars dernier quand un cargo a heurté et détruit le pont le plus long du port de Baltimore, causant une impressionnante catastrophe maritime. Selon tous les récits, le Gouverneur n’a pas ménagé sa peine durant des jours pour visiter les familles des victimes, encourager les secours, essayer de lancer la reconstruction avec l’aide fédérale.
Il est seulement le 3ème Noir américain à être élu gouverneur dans n’importe quel état de l’Union et son CV porte de grands points communs avec celui de Barack Obama. Mais s’il devenait le partenaire de Kamala Harris pour la conquête du pouvoir, ce serait un ticket entièrement représentant des communautés de couleur. Il n’est pas sûr que le reste du pays valide ce choix.
De look plus classique, Andrew Beshear, 46 ans. Il a fait parler de lui au sein du parti démocrate et dans la presse américaine pour avoir conquis par deux fois de haute lutte en 2019, puis en 2023, lors des élections de mi-mandat, le siège de Gouverneur du Kentucky, état ultra-conservateur qui a voté à 62% pour Donald Trump dans la campagne de 2020. Mitch McConnell, chef de la majorité républicaine au Sénat, en est d’ailleurs le Sénateur indétrôné depuis quasiment quarante ans. Ce jeune avocat appartient à une famille déjà politisée puisque son propre père, Steve Beshear, a défié les paris en son temps en se faisant aussi élire Gouverneur du Kentucky par deux fois. Il est connu pour son empathie envers ses administrés, et a remporté ses campagnes en parlant précisément aux Kentuckiens de leurs problèmes au Kentucky, contrairement à son adversaire Républicain qui ne parlait que des soucis de la Nation. On peut se demander s’il a des ambitions nationales qui le projetteraient en dehors de ses terres du Middle West ? Ou peut-être s’il se réserve pour une date ultérieure ?
D’autres noms circulent en plus : Gary Peters, Sénateur du Michigan, ou Mark Kelly, Sénateur de l’Arizona, Peter Buttigieg, ministre des Transports, ou celui de Tim Walz, Gouverneur du Minnesota.
Rendez-vous pour la nomination de Kamala Harris et de son colistier, qui sera officialisée au cours du DNC : Democratic National Convention, prévue à Chicago du 19 au 22 Août.
Ce qui est certain, c’est que cette situation est une première dans l’histoire des élections présidentielles américaines. Tout ne peut pas dépendre uniquement de Madame Harris, Il appartient aussi maintenant au parti démocrate de naviguer en ces eaux inconnues, et plus que tout de montrer son unité. Kamala Harris peut réussir à s’imposer. Ou dans un scénario désastreux, elle peut décevoir et ouvrir la porte à une lutte de pouvoir qui pourrait soit amener un autre candidat sur le devant de la scène-exercice très périlleux à moins de quatre mois du vote du 5 Novembre-, soit mener le Parti à se déchirer tout seul.
Pour le moment, l’unité semble être le mot d’ordre, et la Vice-Présidente part dans la course comme la grande favorite, réunissant tous les soutiens derrière elle, et déchaînant les réseaux sociaux en sa faveur, sans compter des ressources financières très importantes : 81 millions de dollars levés pour sa campagne dans les 24h qui ont suivi l’annonce de sa candidature, la plus importante levée de fonds de toute l’histoire des présidentielles américaines. A Los Angeles, par exemple, les opinions se répètent comme un grand écho dans la ville phare du Sud Californien : « Kamala Harris n’est pas a priori ma candidate favorite, mais je n’ai rien contre elle non plus. En revanche, nos enfants sont enthousiastes de cette candidature, alors nous voterons comme eux. »
Ce qui est sûr aussi, selon un expert politique californien, c’est que : «Ce sera une course très, très disputée. Même le week-end qui précède les élections, nous ne saurons probablement pas de quel côté penche la balance. Et après les élections, si les Républicains perdent, je ne sais pas non plus ce qui peut se passer. »
Pendant ce temps-là, comme nous l’indique une petite note de la BBC, un village en Inde, à environ 15,000 km de Washington, affiche une grande photo de la Vice-Présidente. Les grands-parents maternels de Madame Harris sont originaires de là, Thulasendrapuram, un petit village qui regarde avec fierté la trajectoire de sa lointaine représentante et offre des prières au dieu local pour couronner son destin. Toute aide en effet sera la bienvenue.
Le 31 juillet 2024.
Excellent article Ariane ! Comme toujours .
J’ai vraiment aimé !
Au plaisir de lire ton prochain article .