A l’approche des fêtes de fin d’année, la plupart de nos concitoyens s’apprêtent à vivre des moments chaleureux, en famille ou avec le cercle restreint de leurs proches et amis. Pourtant tous ne seront pas logés à la même enseigne.
L’année 2016 aura été une année particulièrement douloureuse sur le front des attaques terroristes. Pour ceux directement ou indirectement touchés, l’approche des fêtes soulignera la douleur de l’absence. L’horreur des attentats de Nice, cumulée à l’assassinat du père Hamel dans son église et ravivée par l’attaque terroriste du marché de Noël à Berlin, nous marquera tous durablement. Ainsi que titrait cruellement mais si justement le New York Times dans son édition internationale du 22 décembre dernier, 2016 restera comme l’année où le terrorisme est devenu notre quotidien (« This year terrorism became our ‘new normal’ »).
A l’aube des fêtes de fin d’année, l’inquiétude est bien présente. Les interrogations légitimes sur la nécessité d’adapter notre vigilance quotidienne sans toutefois changer notre mode de vie s’invitent dans le débat public : la tribune de Brice Couturier dans le Figaro du 23 décembre exhorte à prendre exemple sur les réussites d’Israël en matière de lutte contre le terrorisme. D’une façon ou d’une autre, après les erreurs d’analyse et la phase de sidération passée, notre société européenne aura enfin pris conscience en 2016 de l’ampleur du phénomène terroriste.
Sur un autre front, l’année 2016 aura vu une accélération de la pauvreté de certains de nos concitoyens. Selon l’Observatoire des Inégalités, dépendant de la définition adoptée, la France compte désormais entre 5,5 et 8 millions de pauvres. La réalité est que tous les professionnels travaillant sur les sujets de précarité et d’exclusion s’accordent sur le chiffre terrifiant de plus de 8 millions.
Et entre 2004 et 2014, sous l’effet de l’accroissement du chômage et plus généralement de l’impact de la crise subie en 2008, notre pays compte un million supplémentaire de personnes atteignant le seuil de pauvreté (entre 880 et 1000 euros par mois selon les échelles retenues). Au niveau européen, au titre de 2015, le taux de risque de pauvreté s’élève à 17,2 % (source : Eurostat) et l’Union européenne compterait donc plus de 120 millions de personnes pauvres ou en situation d’exclusion. Autant dire que la responsabilité de la classe politique est donc très concrète. Faire de la politique, proposer une politique publique c’est directement influencer la vie de nos concitoyens et leur niveau de vie.
Face à ce double constat de très grande fragilité sur le plan du terrorisme et de l’accroissement constant de la pauvreté, l’une des valeurs inscrites au fronton de notre République devrait être appelée en renfort : la Fraternité. Ne tombons pas dans le « déclinisme », maladie française d’ailleurs fort bien analysée – et combattue – par Alain Duhamel, dans son dernier ouvrage paru chez Plon en septembre 2016, Les pathologies politiques françaises.
On parle en effet plus souvent actuellement de la laïcité, quatrième pilier convoqué dans le débat public en complément du triptyque républicain. Mais nous sommes convaincus que la Fraternité a également un rôle déterminant à jouer. Elle est au nombre des chemins à suivre, sans angélisme aucun. Nombre d’entre nous émanant de la société civile pensons qu’il convient d’urgence de redonner un sens à notre vie commune en tissant à nouveau le « vivre ensemble », formule tant de fois galvaudée et pourtant porteuse d’un véritable sens. Cela permettrait d’incarner à nouveau notre République, à travers une fraternité renouvelée se traduisant tout à la fois par une unité sans faille face au terrorisme et également par l’attention aux autres, encore plus criante de nécessité en périodes de fêtes.
Un mot sur l’absence d’angélisme qui entoure notre propos : la fraternité n’est ni un bon sentiment, ni une abstraction. Ce n’est nullement de la compassion qui induit un sentiment de supériorité. La fraternité ne se décrète pas. Elle se travaille. C’est une adhésion volontaire et partagée. Etre fraternel, ce n’est pas aller vers ceux qui nous ressemblent. Cela serait si facile.
C’est précisément se rapprocher de ceux dont nous différons, ce qui implique à la fois une forte capacité de doute sur soi-même et une connaissance de l’autre. Doute, car aller vers l’autre signifie qu’il peut également m’enrichir de ce qu’il est. Et connaissance, car l’on ne peut s’intéresser à l’autre que si l’on a envie de le connaître, si l’on connaît de l’empathie. Long chemin d’apprentissage, d’éducation et d’humilité s’il en est.
Et pour illustrer cette pensée, soulignons un exemple parmi tant d’autres : un travail remarquable est effectué par l’association « Projet Aladin » créée à l’initiative de la Fondation pour la mémoire de la Shoah sous l’égide de l’Unesco. Elle a pour mission, par la culture et l’éducation, de combattre le négationnisme, le racisme, l’antisémitisme et de favoriser les relations judéo-arabo-musulmanes. Elle est portée par Anne-Marie Revcholevschi, actuelle Présidente de l’association. Bien d’autres initiatives méritent d’être connues à l’instar, par exemple, du Pacte Civique, porté notamment par Jean-Baptiste de Foucauld, qui travaille ardemment sur les déclinaisons pratiques de la Fraternité et qui voit les rangs de nos concitoyens qui s’engagent grossir progressivement.
Pour conclure, gardons en mémoire que Paul Ricoeur, philosophe français du XXème siècle dont un certain Emmanuel Macron a été l’assistant, constatait qu’il nous manquait le sens de « l’épopée humaine » et que « pour rencontrer un autre que soi, il faut avoir un soi« . Dont acte : la Fraternité, ça passe aussi par l’éducation.
En cette période de fêtes, formulons donc le vœu qu’après une année 2016 si douloureuse à bien des égards, en retrouvant une Fraternité audacieuse, nous viendrons, tous ensemble, au secours de notre République malmenée, en retrouvant le chemin du vivre ensemble.
Alexia Germont
Texte publié dans le Huffington Post le 23 décembre 2016
http://www.huffingtonpost.fr/alexia-germont/fraternite-vivre-ensemble/?utm_hp_ref=fr-politique