LA CONVENTION CITOYENNE POUR LE CLIMAT : :
une expérience inédite et prometteuse de démocratie apaisée… à partager en Europe !
Note de Sylvianne Villaudière
Experte en Développement Durable
Vice-Présidente de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale
Première expérience démocratique de ce type en France, la Convention citoyenne pour le climat mérite d’être mieux connue. Décidée en avril 2019 par le Président de la République, elle réunit cent cinquante personnes, toutes tirées au sort, illustrant la diversité de la société française. Ses conclusions attendues avec impatience pour sa session finale à présent fixée les 19-20-21 juin 2020, pourraient constituer l’une des réponses majeures de sortie de crise actuelle.
La présente note rappelle la genèse et les modalités de cette convention citoyenne et s’attache à mettre en exergue l’intérêt et les potentialités de cette démarche du point de vue de sa contribution à une démocratie apaisée en France, et pourquoi pas en Europe.
Véritable innovation française de démocratie participative, la Convention citoyenne pour le climat a pour vocation de donner la parole aux citoyens et citoyennes pour accélérer la lutte contre le changement climatique.
Sa genèse remonte à janvier 2019 lorsqu’un collectif de « Gilets citoyens », rassemblant des acteurs œuvrant en faveur de l’innovation démocratique et des représentants de mouvements écologistes, adresse une lettre ouverte au Président de la République Emmanuel Macron posant des conditions pour la réussite du Grand Débat National.
On note que dans le même temps, le réalisateur engagé Cyril Dion rencontre Emmanuel Macron avec l’actrice Marion Cotillard le 13 février 2019, et propose au Président de mettre en place une assemblée pour chercher des solutions sur le référendum d’initiative citoyenne, la transition écologique et la justice fiscale.
Une initiative lancée au terme du Grand Débat National
Quelques semaines plus tard, le 25 avril 2019, lors de la conférence de presse qui fait suite au Grand Débat National, Emmanuel Macron annonce le projet de création de la Convention citoyenne pour le climat, et la création du Conseil de défense écologique, en complément du Haut Conseil pour le climat installé en novembre 2018.
« La France se dote d’une gouvernance et d’institutions robustes pour prendre les décisions nécessaires en matière de transition écologique, sur la base d’expertises partagées et de concertations approfondies auprès des citoyens ».
Fruit des conclusions du Grand Débat National, de la proposition du collectif « Gilets citoyens » et de travaux du Conseil économique, social et environnemental (CESE), la Convention traite des questions relatives aux économies d’énergie, à la rénovation thermique des logements, à l’agriculture, aux mobilités, à la fiscalité écologique et à tout autre verrou ou levier d’action qu’elle juge pertinent.
La « lettre de mission » adressée le 2 juillet 2019 par le Premier ministre au Président du CESE, précise l’organisation de la convention, l’indépendance de son comité de gouvernance et son mandat, qui apparaissent à la fois inédits et particulièrement engageants. (cf. Ref Doc 1)
Elle a pour mandat de définir une série de mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990) dans un esprit de justice sociale.
Aux termes de ces travaux, elle adressera publiquement au Gouvernement et au Président de la République un rapport faisant état de ses discussions ainsi que l’ensemble des mesures législatives et réglementaires qu’elle aura jugées nécessaires pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Elle pourra désigner, parmi les mesures législatives, celles dont elle jugerait qu’elles soient soumises à un référendum.
Une innovation engageante sur le plan institutionnel
Le Président de la République s’est engagé à ce que ces propositions législatives et réglementaires soient soumises “sans filtre” soit à référendum, soit au vote du parlement, soit à application réglementaire directe.
La Convention citoyenne pour le climat est appelée à formuler des propositions en vue de lutter contre le réchauffement climatique. Dès les premières annonces, elle a été invitée à se prononcer sur la taxe carbone.
Elle « pourra notamment traiter des questions relatives aux économies d’énergie, à la rénovation thermique des logements, aux mobilités durables et aux leviers de financement de la transition écologique », a précisé François de Rugy, ministre de la Transition écologique. Le principe établi est que chaque proposition sera accompagnée d’une proposition de financement des éventuelles dépenses induites.
Il ajoute que « ce fonctionnement est une première en France, où la démocratie participative n’est pas très développée. Il s’inspire fortement de l’exemple irlandais. Une convention de citoyens et d’élus y a abouti à l’adoption du mariage entre personnes de même sexe en 2015, et une assemblée purement citoyenne a été à l’initiative de la reconnaissance du droit à l’avortement ». (cf. Réf Doc 2).
Une composition sociologique reflétant celle de la société française
Cette assemblée citoyenne a pour ambition de « représenter la France dans sa diversité ». Elle a été composée à partir d’un tirage au sort sur les listes électorales, et aussi à partir des listes des abonnés au téléphone afin d’élargir la convention aux personnes éloignées de la politique. Contrairement aux jurés d’assises, il a été possible de refuser d’y participer.
Ainsi, elle compte 51 % de femmes et 49 % d’hommes. La composition de la convention représente également « 6 tranches d’âge, conforme à la pyramide des âges de la population française… 6 niveaux de diplômes, reflétant la structure de la population française ». Il est précisé que « 26 % des citoyens sont sans diplôme ou détenteurs d’un niveau brevet ».
Enfin, la composition de la convention représente la diversité des catégories socio-professionnelles et types de territoires en France, avec notamment « cinq représentants des Outre-Mer ». (Cf Réf Doc 3)
Une gouvernance structurée et une organisation animée par le CESE
Pour organiser ses travaux, la Convention peut compter sur le soutien d’un Comité de gouvernance, d’experts techniques et juridiques et de professionnels de la participation et de la délibération collective. Trois garants veillent à la neutralité et à la sincérité des débats.
L’organisation est assurée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), institution constitutionnellement indépendante, ayant l’expérience des débats rassemblant des acteurs issus de nombreux horizons socio-économiques.
Pour assurer le bon fonctionnement de la convention, le comité de gouvernance animé par le CESE associe le ministère de la Transition écologique et solidaire et des personnalités qualifiées dans le domaine de l’écologie, de la démocratie participative et des sujets économiques et sociaux. Ce comité a été chargé d’élaborer le programme de travail et de veiller à sa mise en œuvre.
Ses deux co-présidents sont Thierry Pech, directeur général de Terra Nova, et Laurence Tubiana, présidente directrice générale de la Fondation européenne pour le climat, négociatrice de l’accord de Paris sur le climat. Julien Blanchet, vice-président du CESE, est le rapporteur général du Comité de gouvernance. Le comité rassemble en outre 12 personnalités qualifiées.
Au cours des deux premières sessions, le comité de gouvernance a fourni à l’assemblée un socle d’informations minimales sur le réchauffement climatique ainsi que sur l’état des politiques publiques menées jusqu’à présent et sur la stratégie bas carbone du gouvernement. Les citoyens ont reçu un document synthétique d’une vingtaine de pages contenant aussi une présentation des obstacles à la lutte contre le réchauffement climatique. Le comité de gouvernance a invité des experts, sur une base de pluralisme et les citoyens ont pu également demander à voir d’autres intervenants.
Un comité des garants veille au respect des règles d’indépendance et de déontologie du processus. Il est composé de trois personnalités : Cyril Dion, co-fondateur du mouvement Colibris et co-réalisateur du documentaire Demain ; Anne Frago, directrice du service Culture et questions sociales de l’Assemblée nationale ; et Michèle Kadi, directrice générale honoraire des services du Sénat.
Sur le plan pratique, un budget de 4 millions d’euros a été attribué au CESE pour l’animation et l’organisation de la convention. Ce budget inclut l’organisation logistique (transport, hébergement, restauration des 150 citoyens et citoyennes tirés au sort), l’indemnisation des citoyennes et citoyens (1604 euros pour l’ensemble de la convention, plus le coût éventuel de la garde d’enfants), le tirage au sort, l’animation des séances avec la venue de juristes et d’experts, etc.
Une forte implication des citoyens menant des travaux de grande qualité
Les travaux de la convention devaient durer six mois. Initialement prévus à compter de juillet 2019, les travaux ont commencé le 4 octobre 2019 pour six week-ends. Puis, à la demande des citoyens de la convention et en raison des grèves des transports en communs, la convention a été étendue à sept week-ends et la période étalée jusqu’au 4 avril 2020, date de la dernière session, finalement reportée en juin 2020, en raison de la crise du coronavirus.
Les citoyens auditionnent des experts sur le climat, des économistes, des associations, des acteurs économiques et sociaux. La liste des experts auditionnés par la Convention citoyenne est rendue publique.
Dès la première session en octobre 2019, les membres de la Convention sont répartis en cinq groupes thématiques reflétant la diversité des changements sociaux devant être menés pour accomplir les objectifs de la Convention. Ces cinq groupes sont intitulés : Se nourrir (alimentation et agriculture), Se loger (habitat et logement), Travailler et produire (emploi et industrie), Se déplacer (aménagement et transports), et Consommer (modes de vies et de consommation).
Parallèlement, une plateforme de contribution, accessible en ligne sur le site officiel de la Convention, permet à toute personne ou organisation déclarée d’adresser des propositions aux groupes thématiques de la Convention. En tout, une personne peut rédiger une vingtaine de propositions.
Les citoyens sont aidés par des vérificateurs de faits, réunis par l’Ademe ou le Haut Conseil pour le climat, qui répondent à leurs questions sur les effets de leurs propositions sur les émissions de gaz à effet de serre ou leurs coûts. Formé par le Comité de gouvernance, ce groupe d’appui est composé d’expertes et d’experts mobilisés, au titre de leurs expériences et compétences personnelles et non pas au titre de leurs fonctions dans des organisations, pour conseiller les membres de la Convention dans l’exploration des pistes de travail et l’élaboration des propositions de mesures des membres de la Convention. (Cf Réf Doc 4)
Conformément à la Charte de la convention citoyenne, le comité de gouvernance a également donné mandat à un comité légistique pour mener un travail de transcription légistique sur les mesures préparées par les membres de la Convention citoyenne pour le climat. Le comité légistique réalise la transcription juridique de tous les amendements validés.
Dans un premier temps, sont visées par le travail du comité légistique la transcription des mesures identifiées comme les plus simples et faciles à transcrire ainsi que des mesures les plus à même de répondre à l’objectif de réduction d’au moins 40% des émissions de gaz à effet de serre de la France par rapport à 1990, dans un esprit de justice sociale. Une attention particulière sera portée à la transcription juridique des mesures susceptibles d’être soumises à référendum.
« Tous les observateurs, y compris les plus sceptiques sur la compétence des citoyens, reconnaissent un travail de très grande qualité », souligne Loïc Blondiaux, Professeur de science politique à l’université Paris-1, membre du comité de gouvernance de la Convention citoyenne pour le climat, au titre de spécialiste de la démocratie participative. Il ajoute que « les citoyens tirés au sort sont extrêmement impliqués, et sont très conscients du rôle qu’ils doivent jouer. Les citoyens ne s’arrêtent pas de travailler à la fin du week-end, mais ils le font tout le temps et échangent avec leur entourage ». (Cf Réf Doc 5)
L’objectif affiché, le sérieux de l’organisation, tout comme les différentes instances placées au service des citoyens, ont dû grandement contribuer à la motivation et à l’intérêt des participants. L’enthousiasme fut palpable, y compris sur les réseaux sociaux, tout au long de ces derniers mois.
Des conclusions devant contribuer à la sortie de crise actuelle
Cependant, crise du coronavirus oblige, la Convention citoyenne pour le climat n’a pas pu solennellement voter et remettre ses propositions au Président de la République début avril 2020, ainsi que le prévoyait le calendrier initial.
Les membres de la convention ont maintenu les 3 et 4 avril leur session sous forme « dématérialisée », au cours de laquelle ils ont décidé d’apporter leur contribution au débat sur la sortie de crise. Ils ont souhaité contribuer aux arbitrages sur les mesures de relance que doit décider le gouvernement, « car la crise que nous traversons n’est apparemment pas sans lien avec le dérèglement climatique et la dégradation de l’environnement ». Puis, ils ont décidé d’envoyer, jeudi 9 avril, cinquante pistes de mesures à l’exécutif mais sans les rendre publiques. Elaborées par leurs cinq groupes thématiques – se loger, se déplacer, se nourrir, consommer, produire et travailler –, elles doivent encore être amendées et votées par l’assemblée plénière.
Un document intitulé « Contribution de la Convention Citoyenne pour le Climat au plan de sortie de crise » a été publié sur le site officiel de la Convention. Les citoyens alertent et appellent à des évolutions, comme l’illustre la conclusion :
- « Nous demandons que les financements mobilisés dans le cadre de la sortie de crise soient socialement acceptables, fléchés vers des solutions vertes et que les investissements se concentrent dans des secteurs d’avenir respectueux du climat.
- Les plans de relance qui sont mis en place à la sortie des crises mobilisent des mécanismes de financements importants injectant des fonds considérables dans l’économie. Nous devons donc veiller à ce que cet accroissement de l’investissement soit dirigé massivement dans la transition écologique et tienne compte de la situation des plus fragiles.
- Nous avons conscience que cette transformation de notre modèle ne peut pas s’instaurer uniquement à l’échelle nationale. La reconfiguration des relations internationales doit se faire dans un esprit de justice sociale, et doit favoriser une régulation de la mondialisation en faveur du climat.
- Face à la crise que nous traversons, il est nécessaire de réaffirmer l’importance des solidarités internationales pour une action efficace. Le risque de crispation et de repli national est déjà visible alors que chacun tente de lutter contre l’épidémie du Covid-19. Dans ce contexte, il est d’autant plus nécessaire de fédérer autour de grands projets européens afin de diffuser un message positif et d’union. Le combat contre le changement climatique est un enjeu de taille qui nécessitera l’action et l’entraide de tous les Etats membres.
- Enfin, cette crise nous concerne tous et ne sera résolue que grâce à un effort commun, impliquant les citoyens dans la préparation et la prise de décision. La participation citoyenne est essentielle, nous le voyons tous les jours dans les nombreuses initiatives de solidarité qui germent partout en France pour que nous puissions continuer à vivre presque normalement. C’est le moment idéal d’écouter et de prendre en compte les remarques des citoyens pour la construction d’une société future ».
Finalement, la Convention citoyenne pour le climat a annoncé que sa septième et dernière session se tiendra les 19, 20 et 21 juin prochains. Laurence Tubiana, coprésidente du comité de gouvernance, témoigne d’une « mobilisation sans faille » qui se poursuit malgré la crise sanitaire. Dans une interview parue dans le journal La Croix le 5 mai dernier, elle ajoute « les modalités de cette dernière session restent à définir : évidemment nous préférerions qu’ils puissent se retrouver physiquement mais nous nous préparons également à l’organiser en ligne. Les 150 membres tirés au sort de la Convention travaillent d’arrache-pied depuis huit mois déjà alors qu’ils avaient initialement « signé » pour quatre mois. Leurs travaux sont quasiment aboutis. Ils doivent pouvoir participer pleinement aux décisions publiques qui doivent nous permettre de sortir de la crise climatique mais aussi économique et sociale ». (Cf Réf Doc 6)
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Ainsi dans des circonstances bien particulières de crise (gilets jaunes, grève des transports, corona virus…), la Convention installée depuis octobre 2019 se sera tenue à 7 reprises au CESE. Elle devrait remettre ses conclusions lors de la session #7 en juin prochain. Le Gouvernement répondra publiquement aux propositions et publiera un calendrier prévisionnel de mise en œuvre de ces propositions, à la suite de quoi les citoyens pourront formuler une réaction commune et publique aux réponses du Gouvernement. A suivre donc…
Le caractère inédit et apaisé de cette expérience démocratique citoyenne, tout comme la formidable mobilisation qu’elle a suscitée et les travaux qu’elle s’apprête à rendre public, méritent attention et pourraient constituer un exemple à bien des égards.
Il reste sans doute difficile d’en convaincre l’ensemble des citoyens – tout comme les décideurs politiques et socio-économiques – qui n’ont pas eu la possibilité de participer au dispositif.
La Convention citoyenne pour le climat manque à l’évidence cruellement de notoriété et de reprise médiatique, sans doute en raison du contexte actuel de crise mondiale. Sans doute aussi en raison de la difficulté à médiatiser et mettre en images ou en récit, ce type de dispositif participatif.
Cette expérience française n’est-elle pourtant pas un exemple à suivre, voire à reproduire à travers l’Europe pour renforcer nos démocraties ?
Sylvianne Villaudière
21 mai 2020
Biographie de Sylviane Villaudière en cliquant ICI
Documents et références :
Doc 1 : Edouard Philippe et Patrick Bernasconi « Lettre de Mission du Cese pour la Convention citoyenne pour le Climat » Convention Citoyenne pour le Climat, 2 juillet 2019
Doc 2 : « 150 Français tirés au sort, six mois de débat, la taxe carbone sur la table : la Convention citoyenne sur le climat se précise », Le Monde.fr, 19 mai 2019
Doc 3 : « La Convention Citoyenne pour le Climat », Gilets citoyens, mai 2019 (lire en ligne)
Doc 4 : https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/groupe-appui/
Doc 5 : « La Convention citoyenne pour le climat est une innovation démocratique majeure » – Alternatives Economiques